INTRODUCTION.. 2

PREMIERE EPOQUE : L’AUTRE AMBRE.. 3

La Ville Monde. 3

Le Manoir. 5

Le Livre. 7

Le Faux Roi 9

Capturés. 11

La libération. 14

Dworkin. 17

Péripéties pour une monture. 19

Caine. 21

Une étrange rencontre. 23

Gérard. 25


INTRODUCTION

 

 

 

Une pièce sombre, simplement éclairée par la lueur d’un feu de cheminée. On devine le plafond voûté, et sous les tapisseries, les pierres froides des murs. De nombreux livres, de toutes les tailles, sont entassés dans un semblant d’ordre sur des étagères dans un coin de la pièce. Malgré la pénombre, on peut distinguer un chevalet, sur lequel repose une toile. Et juste à coté de la toile, sur une table, toutes sortes d’ustensiles, de pinceaux, de récipients, contenant probablement des pigments, de la peinture. Un grand miroir est posé contre l’un des murs, et la lumière de l’âtre vient s’y réfléchir.

La cheminée n’est pas grande, mais elle occupe tout un pan de mur de la petite pièce. Le manteau est recouvert de portraits d’hommes et de femmes. Et fixées au dessus, les armoiries d’une noble famille : une licorne ivoire sur un fond sable.

En face de l’âtre, un grand fauteuil de bois, au dossier droit et haut. Et entre le feu et le trône, une table basse sur laquelle repose un échiquier. La partie semble presque achevée, puisqu’il ne reste presque plus de pièces blanches. Le roi blanc est debout, mais il est acculé dans un coin de l’échiquier. La tour, et le cavalier sont à ses cotés, mais ils sont bloqués par les pions noirs. Seul le fou blanc semble avoir encore un peu de latitude, mais pourra-t-il faire quelque chose ? En face de lui se dresse la dame noire et des pions. Un observateur averti remarquerait tout de suite qu’il y a un nombre anormalement élevé de pions et surtout, qu’il manque une pièce maîtresse : le roi noir. Pourtant, cela ne semble pas troubler l’étrange personnage assis sur les coussins du fauteuil. Distraitement, il regarde l’échiquier, tout en taillant une pièce de bois à l’aide d’un couteau fin.

Des copeaux de bois blanc s’amoncellent sur les genoux du petit homme bossu et barbu. Il s’affaire, enlevant de fines pellicules de bois et petit à petit l’objet se forme entre ses mains aux doigts fins et ridés, trahissant son âge maintenant avancé. Quand il eut fini ce qui ressemblait à une pièce d’échec, mais sans en être véritablement une, il l'examina attentivement, comme pour vérifier qu’elle n’avait pas de défauts. Puis, la gratifiant d’un sourire amusé, il attaqua la sculpture d’une deuxième pièce. Après plusieurs heures, alors que le feu dans la cheminée était presque éteint, quatre pièces blanches étaient posé devant le vieil homme aux cheveux bruns et un peu hirsutes.

Il aurait certainement pu faire surgir les quatre objets du néant, les conjurer d’un geste assorti d’un mot, si tel avait été son désir, mais Dworkin, car c’est bien lui, aime bien créer de ses mains les jouets qu’il utilise. Puis, les contemplant une dernière fois, il les positionna sur l’échiquier, exactement entre la dame noire et le roi blanc. Se parlant alors à lui-même, il murmura : «  maintenant, nous allons pouvoir un peu tricher… ». Puis, il se lève, l’air content de lui, et s’approche du grand miroir.

Son reflet l’observe attentivement, comme surpris de le voir arriver. Et comme il va pour le toucher, le reflet également s’avance. Dworkin caresse de sa main la surface du miroir, le reflet l’imitant soigneusement. Puis s’avançant encore d’avantage, il se retrouve nez à nez avec lui. Le nez de l’un touchant celui de l’autre, le front venant à la suite, la bouche, la barbe, les cheveux, et la tête entière disparurent dans le miroir. Le corps suivi, et il n’y eut bientôt plus rien dans le miroir que l’image d’un fauteuil et de quelques braises qui moururent.

 

 

 

***

 


PREMIERE EPOQUE : L’AUTRE AMBRE

La Ville Monde

 

 

 

Tout en haut d’une gigantesque tour de pierre, son regard perdu dans le néant, un jeune homme laisse vagabonder son esprit vers les cieux azurés. Il n’est pas seul, mais peu lui importe. Enfin élevé haut dessus de la masse grouillante que forme la ville, il se sent libre comme le souvenir de son oiseau-lyre. Sa chevelure rousse et épaisse battant au vent, il médite et rien ne peut le déranger. Pas même le rappel cuisant de sa brève entrevue par atout avec son père. Ni son infortune aux jeux de hasard, jeux qui ont permis à son cousin James, un jeune homme de belle allure, toujours l’air blasé, celui-la même qui est à ses cotés en haut de la tour, de gagner une fortune en cristaux, la seule monnaie de ce monde. Ni le souvenir heureux de la belle Fania, une blonde magnétique et mystérieuse, qui a soigné ses blessures et dans les bras de laquelle il a passé sa première nuit d’homme. Ni la mise à prix pour sa tête que le marquis de Guise a lancé contre lui pour avoir tristement terminé le duel contre son fils par la mort de ce dernier. Ni la découverte du laboratoire de l’institut, recelant alambics, préparation à base de champignons de toutes sortes. Ni la présence à l’institut d’une ombre assassine. Ni sa course poursuite avec le fantôme du chevalier Segur, un incroyable héros de ce monde qui aurait repoussé à lui seul une invasion de barbares venus du Nord. Peu lui importait Antoméra, la ville monde.

Si, comme James, il avait posé les yeux en contrebas, il aurait vu un entrelacs invraisemblable de bâtiments encastrés les uns dans les autres, des maisons de plusieurs étages, de plusieurs formes, de plusieurs couleurs, renfermant marchants d’alcool de champignon, armuriers, tailleurs, tisseurs, maréchaux, ferrailleurs, sculpteurs, brocanteurs, usuriers, auberges, et habitants de tous horizons. Mais nul trace de forêt, ni d’oiseaux, ni d’étendues d’eau, la ville s’étendait à perte de vue. Gustaf savait qu’on pouvait y marcher des jours et des jours sans jamais en voir la fin.

Quand ils étaient arrivés tous les quatre, James, Derek, Xian et lui, guidés par leur oncle Gérard, un grand gaillard barbu, aux cheveux noirs et aux yeux marrons, d’une force peu commune et d’un humour un peu « lourd », aimant boire et s’amuser en belle compagnie, ils leur avait fallu trois jours pour atteindre l’institut de cartographie. Antares, le vieil imbécile, comme l’appelait volontiers Derek, qui dirigeait l’établissement les avaient accueillis comme des élèves identiques aux autres, des apprentis cartographes. Mais ils étaient de sang royal, directement issus de la famille d’Ambre, et ils avaient droits à un peu plus de considération avaient pensé Xian, un jeune homme ombrageux, aux yeux légèrement bridés, à la peau très claire et aux cheveux noir courts et toujours ébouriffés, lorsqu’on lui avait présenté la bouillie peu ragoûtante à base de champignons verdâtres qui faisait le quotidien des étudiants de l’institut. Et que leur importait les mathématiques, la géométrie, la physique, la chimie et la philosophie que leurs professeurs, tous plus ennuyeux les uns que les autres, tentaient de leur inculquer. D’ailleurs seul Derek, l’austère et cynique jeune homme, tout habillé de noir, suivait les cours avec attention. Les autres préférant dormir pendant les cours, pour mieux s’amuser les nuits, à jouer aux échecs, aux jeux d’argent, ou à résoudre les intrigues de la ville. Mais aujourd’hui, même le sévère Derek en avait assez de l’institut, des cours, et des champignons. Il venait de perdre son seul ami d’enfance, un chien impressionnant qui répondait au nom de Max, lors de la traversée des labyrinthes souterrains d’Antoméra.

Ils étaient tous les quatre les hôtes d’un châtelain des plus accueillant. Il aimait les cartographes, et les recevaient avec les honneurs d’un prince. Et pour les princes qu’ils étaient, cette attention leur donnait envie de fuir l’institut, d’aller voir leur oncle qui résidait à l’étoile doré, un établissement où l’on pouvait bien dormir, bien manger et bien boire, sans oublier bien s’amuser, ce qui représente les critères minimums d’un établissement correct pour le colosse, histoire de lui dire leur façon de penser.

Mais sur le chemin du retour leur courage vacilla, et ils décidèrent, avant d’affronter leur oncle, de résoudre leurs petits ennuis personnels. Ceci dit, aucun ne reprendrait les cours. Ils allaient maintenant étudier chacun de leur coté le pouvoir qu’ils étaient sensés être capable d’utiliser depuis qu’ils avaient franchis la marelle d’Ambre : la marche en ombre. Le lendemain, chacun essaya de son coté. Derek s’enferma dans l’étude théorique, James après une journée d’efforts trouva le laboratoire, Xian parti méditer sur un toit de la ville et Gustaf quant à lui, utilisant une technique peu convaincante puisqu’il avait eu l’idée de se bander les yeux, récolta plus de bosses et de bleus qu’en une semaine dans les bois, pourtant, cela lui permis tout de même de sentir la détresse de Xian. En effet, ce dernier avait été attaqué dans sa méditation et revenait à l’institut avec une profonde blessure à l’épaule.

Plusieurs jours passèrent pendant lesquels Gustaf et James se relayèrent au chevet de Xian, appliquant sur la blessure une concoction de champignons roses. Ils firent également la connaissance d’un cartographe nommé Farell, qui entretenait une sorte similitude avec le fameux Segur. En suivant Farell dans le laboratoire, ils découvrirent une pièce secrète et lorsque Xian fut sur pied, ils décidèrent d’aller y jeter un coup d’œil.

La pièce était plongée dans l’obscurité. En entrant d’avantage, leurs yeux s’habituant petit à petit à la luminosité, ils découvrirent un spectacle surprenant. La luminosité venait d’une sorte de champignon phosphorescent au centre de la pièce. Il était grand comme un homme à genou, et semblait pulser d’une énergie importante. A chaque pulsation, dont le rythme était proche d’un battement de cœur, le champignon devenaient plus lumineux. Il grandissait également. En fait, ils leur sembla que le champignon renfermait un être, une forme humanoïde, dont l’apparence se précisait à chaque pulsation.

Ce qu’aucun d’entre eux ne remarqua pourtant, tant ils étaient absorbés par la contemplation du champignon qui prenait  la forme d’une femme adulte, c’est que le grand miroir qui occupait tout le mur droit de la pièce, lui aussi s’était mis à pulser. Bien sûr, il reflétait la scène, et donc, les pulsations du champi-femme, mais, il devenait également lumineux, d’une luminosité qui lui était propre, elle devenait plus intense. Quand, subitement elle devint aveuglante, alors les quatre jeunes hommes eurent l’impression d’être absorbés, entraînés vers un gouffre, tournant de plus en plus vite, jusqu’à ce qu’ils perdent connaissance.

 

 


Le Manoir

 

 

 

Lorsqu’il s’éveilla, Xian avait le corps engourdi, et l’esprit brumeux. Encore cette saloperie d’alcool de champignon, pensa-t-il. Mais, un examen rapide de sa chambre lui fit penser qu’il n’était plus à Antoméra, la ville monde. En effet, il y avait beaucoup trop de meubles en bois. Le lit, en bois sombre et travaillé, était épais, doux, et les draps semblaient être fait d’un tissu soyeux. A coté du lit, près de la fenêtre, une bassine et un cruchon reposaient sur une commode, en bois également. Xian se leva, s’aspergea le visage d’eau claire et fraîche, et se dirigea vers la fenêtre. Il remarqua que la pièce était légèrement poussiéreuse : une chambre d’amis, peu utilisée, conclu-t-il.

Le coup d’œil par la fenêtre confirma ce qu’il avait supposé : il n’était plus dans la ville sans arbres. Une plaine herbeuse avec, ça et là, des arbres fruitiers, s’étendait à perte de vue. Le soleil était levé depuis un bon moment semblait-il, au vu de l’ombre des arbres. A moins que la course du soleil fut plus rapide…A moins qu’il y ait plusieurs soleil…tout est possible en ombre lui avait-on dit.

Xian s’aperçu que ses vêtements, posés sur un fauteuil, étaient lavés. Il s’habilla lentement et sortit de sa chambre. La porte donnait sur un couloir, et un escalier descendant était visible à son extrémité. Il l’emprunta et déboucha sur une cour, entourée d’un épais mur de pierre. Le grand portail en fer forgé était cependant ouvert sur la plaine. Un homme s’occupait d’un cheval près d’une grande porte qui était certainement celle des écuries.

Xian s’approcha du jeune homme et lui demanda simplement où était le maître de maison. Mais l’homme fit une mine surprise, et commença à parler rapidement, dans une langue que Xian n’avait jamais entendue…Il n’est pas inconcevable que des habitants d’une ombre parlent une autre langue que le Thari, la langue ambrienne. Cependant, cela signifie que cette ombre n’est pas une des ombres proches d’Ambre. Où suis-je donc tombé, se demanda le jeune homme. En notant mentalement la présence d’un cheval dans les écuries, qu’il pourrait toujours utiliser pour partir, il entreprit de visiter la demeure.

Elle était ridiculement petite. A peine deux bâtiments (sans compter les écuries et la grange). Une dizaine de chambres (sans compter les quartiers des domestiques), dont quatre avaient été occupées dernièrement semblait-il. Une salle de réception, une bibliothèque extrêmement bien fournie, bien que tous les livres soient de langue étrangère, une cuisine où travaillaient une cuisinière et deux mitrons. En plus du personnel de cuisine et du palefrenier, la maison était occupée par deux femmes de chambre, et une dizaine d’autres personnes, vraisemblablement chargés de la sécurité mais qui passaient tranquillement le temps à bavarder ou à jouer aux dés plus qu’autre chose. Xian pensa que si le danger que craignait le maître de maison arrivait, aucun de ces hommes ne serait prêt à l’affronter.

Patiemment,  Xian réussi à se faire comprendre par signes et se fit apporter de la nourriture. Il apprit également que trois jeunes hommes étaient également ici auparavant, mais qu’ils étaient partis il y avait peu de temps.

 

Effectivement trois hommes s’étaient réveillés dans le même manoir. Le premier à s’éveiller fut Derek. Cependant, à peine levé et habillé, il sortit dans la cour, juste au moment où une belle jeune femme blonde, portant une toilette de couleur mauve, se hissait dans une voiture tirée par deux chevaux bruns. Il s’approcha alors de la voiture et parvint, malgré son impossibilité à comprendre un seul des mots que prononçait la belle, à se faire embarquer. Il partit donc, vers la ville la plus poche.

 

James était lui aussi éveillé. Mais il fut moins rapide que son compagnon, et ne put que voir la voiture s’éloigner au loin dans la plaine. De même Gustaf, qui émergea du sommeil quasiment en même temps, prit encore davantage de temps pour sortir du lit. Quand il le fit, lui aussi, découvrit que les gens de maison ne le comprenait pas. Alors il décida de ne pas rester et sans emporter  le moindre bagage, il partit sur le chemin qui s’éloignait.

 

James fut moins empressé. Il aimait bien que des gens soient là pour le servir, et il en profita. Puis il entreprit de se faire expliquer ce qu’il faisait ici. Comment l’avait-on retrouvé, et où ? Ce ne fut pas facile, mais il fini par comprendre qu’il (et que c’était probablement la même chose pour les autres) avait été ramassé inconscient, devant la porte de la cave. Cave qui contenait un grand miroir sur l’un des murs. Un miroir tellement grand, qu’il était impossible qu’il soit passé par la porte. A priori, il avait été construit ici. Mais pourquoi mettrait-on un miroir dans une cave ?

Incapable de trouver une réponse rationnelle à sa question, James emprunta l’un des deux chevaux présents dans l’écurie, et prit le chemin de la forêt. En fait, on ne voyait pas réellement de forêt depuis le manoir, mais James était persuadé qu’il devait y en avoir une dans cette direction, et effectivement après quelques heures à cheval, une forêt peu touffue apparue. Après quelques heures de chevauchée, alors que le soleil se couchait sur la forêt, il entendit des hurlements de loups.

Que devrais-je faire ? Essayer de m’éloigner avant qu’ils ne me prennent en chasse, ou directement les débusquer et les attaquer ? se demanda James. Il opta pour la deuxième solution, certainement un peu plus risquée, mais au moins, il pourrait profiter de la surprise.

 

James se dirigea vers l’endroit où devaient se trouver les quelques individus de la meute. En prenant bien soin de rester sous le vent, il s’approcha jusqu’à distinguer précisément leur emplacement. Il abandonna alors sa monture craignant qu’elle ne prenne peur à la vue des prédateurs. Il se faufila vers la petite clairière où se trouvaient les loups. Ils étaient rassemblés autour d’un chêne imposant. James en compta plus d’une quinzaine. Plus que prévu, se dit-il. Mais il n’était plus possible de reculer. Deux loups avaient sentis une présence, et se dirigeaient dans sa direction en grognant, alertant leurs congénères. Tout à coup, ils s’élancèrent vers les taillis. Le premier fut stoppé net dans son élan pour une lame qui venait de lui perforer l’œil, le tuant presque sur le coup. Le second reçu le poignard dans le flan. Cela ne le tua pas, mais il s’affala sur le sol.

Les loups commençaient à s’agiter. C’est alors que James surgit dans la clairière. Il se rua, l’épée brandie au dessus de sa tête, et faucha le premier carnassier qui tenta de l’attaquer. Deux autres tombèrent sous ses coups précis, mais les loups s’étaient maintenant organisés. Ils n’étaient plus surpris, et s’étaient mis à courir autour de leur ennemi, hasardant des coups de gueules, pour lui attraper un bras, ou une jambes. Pourtant James était attentif, et esquivait les attaques, tout en frappant frénétiquement. Mais le combat était par trop inégal, et déjà il commençait à faiblir, sachant qu’à la moindre faiblesse, les loups en profiteraient. Ils auraient vite fait de le désarmer, de le faire chuter, et de le tuer.

Mais un allié imprévu se débusqua. Un homme atterrit  un milieu du tumulte, arme à la main, et entreprit d’attaquer les loups à revers. C’était Gustaf qui, pour sa part, avait préféré éviter le combat en grimpant dans le chêne. Voyant son ami le tirer d’un assez mauvais pas, il s’empressa de lui prêter main-forte. En quelques minutes, les bêtes avaient succombées ou fuit. James nettoya sa lame, et partit chercher son cheval, alors que Gustaf lui expliquait qu’il ne se cachait pas, mais qu’il attendait le jour. Prétextant qu’il est plus agréable pour lui de se battre sous le soleil. James remonta sur son cheval et partit, laissant le pauvre Gustaf sur place, malgré sa demande de voyager en compagnie.


Le Livre

 

 

 

Pendant ce temps, Xian, toujours au manoir, assistait à un bien étrange phénomène. En plein milieu de la nuit, des éclairs ont commencé à frapper aux alentours du manoir, alors que le ciel étoilé ne laissait présager aucun orage. Mais le plus surprenant, c’est qu’après les cinq premiers éclairs, une quarantaine d’autres, ou peut-être même plus, virent frapper au milieu de la cour du manoir, et toujours exactement au même point, à intervalles réguliers. Les gens de maison ne semblaient pas affectés plus que ça. Xian s’approcha le plus possible, sans se mettre pour autant en danger. Et il aperçu un reflet métallique sur le sol de la cour. Lorsque plus aucun éclair ne vint frapper l’objet, Xian le ramassa. Il s’agissait d’une assiette métallique, gravée entièrement de sigles, de mots incompréhensibles.  Probablement de la magie, se dit-il. Il interrogea le palefrenier avec lequel il réussissait plus ou moins à communiquer. Ce dernier lui fit quantité de signes, et Xian cru comprendre qu’une dame était responsable de ces éclairs et qu’elle allait bientôt rentrer. Il décida alors de quitter le manoir avant le retour de la maîtresse des lieux.

Il partit le matin même, emportant le strict nécessaire, afin de le pas alourdir la charge de son cheval. Il chevaucha ainsi toute la matinée suivant les traces d’une calèche dans l’herbe grasse de la plaine. Mais vers la fin de la journée, les traces disparaissaient. Xian hésita a continuer. La plaine était immense, et il était impossible de s’y repérer. Pendant combien de temps allait-il devoir chevaucher avant de trouver un paysage différent ? Il s’aventura cependant, en s’orientant par rapport au soleil. Et la nuit venue, il tenta de reconnaître les étoiles, mais aucune ne semblait à sa place. Xian ne reconnaissait pas ce ciel et ne pouvait pas s’en servir pour se diriger, alors il bivouaqua simplement dans l’herbe. Alors qu’il fermait un œil, la lueur des éclairs l’éclaira. Ils tombaient à quelques lieux, apparemment au hasard. Puis après les quatre premiers, ils se concentrèrent tous en un même point. L’assiette magique, pensa Xian. L’avantage c’est qu’il savait maintenant où se trouvait le manoir qu’il avait quitté la veille. Et il compris que la mystérieuse dame devait également se servir des éclairs pour s’orienter.

Le lendemain, il hésita un instant puis choisi de retourner au manoir. Cette femme ne lui voulait probablement aucun mal, puisqu’il avait été traité comme un invité à son réveil. De plus elle pourrait probablement l’aider à rentrer à Ambre, si elle était magicienne. De retour au manoir, il chercha des indices de l’identité de son hôte. Mais ne trouve rien de vraiment intéressant avant son deuxième passage dans la bibliothèque. Cette fois-ci, il entreprit d’ouvrir chaque ouvrage, consciencieusement, méthodiquement. Et sa patience fut récompensée. Après plusieurs heures de recherche, il trouva dans un livre une gravure représentant la fameuse assiette magique. Malheureusement, cet ouvrage était également écrit dans la langue du pays.

Ce livre avait une reliure de cuir brun, sans aucun signe distinctif. Pas de titre, pas de symboles, pas de dessins…comme si on avait voulu le garder discret. D’ailleurs cela avait pas mal réussi puisque Xian ne l’avait trouvé qu’après une longue recherche.

Ce livre renfermait quelques autres gravures. Xian y découvrit l’illustration du miroir de la cave, également une dague à pommeau de licorne, ainsi que deux animaux : un rat et un hibou. Il décida de garder le livre.

Si seulement la maîtresse de maison pouvait lui expliquer la signification de ce miroir. L’a-t-elle conçu elle-même ? Et surtout pourquoi faire ?

 

Après quelques jours d’attente, Xian, posté dans la cour du manoir, vit une voiture attelée entrer dans l’enceinte. Il s’approcha pour observer la scène, et vit une magnifique jeune femme, blonde, vêtue d’une toilette orange, et brune sortir du véhicule. Elle se fit accueillir par ses serviteurs et entra prestement dans ses appartements.

Xian, attendit quelques temps, pour lui permettre d’arriver. Puis il se fit présenter. Il eut alors la surprise de la trouver dans un bain ! Elle était plongée dans une eau recouverte d’une mousse blanche et onctueuse, dont les vapeurs sentaient l’amande douce et la mandarine. Elle souri et lui fit signe de s’approcher. Xian s’exécuta et voulu se montrer indifférent à sa présence. Mais les atouts que la jeune personne cachait à peine dans la mousse du bain attiraient ses yeux, bien plus souvent qu’il ne l’aurait voulu.

Pourtant, sa déception fut grande lorsque la belle lui adressa enfin quelques mots : elle ne parlait pas le Thari ! Il l’avait attendue tout ce temps pour rien. Irrité, il prit un cheval aux écuries et partit suivant les traces qu’avait laissé la carriole.

Après quelques jours, il arriva en vue d’une petite ville. Il comprit, aux gardes qui lui interdisaient le passage, et aux étendards fixés sur les remparts qu’elle était en quarantaine. Utilisant le langage universel des gestes, il se fit indiquer la direction de la ville la plus proche et s’y rendit en quelques trois autres jours. La lassitude commençait à se faire sentir.

Mais une rencontre inattendue lui fit reprendre l’espoir de pouvoir converser avec la dame du manoir. En effet, alors qu’il se restaurait dans une auberge de la ville, un homme s’assit soudain à sa table et lui parla en Thari.

-         « J’ai entendu que vous ne parliez pas vraiment notre langue, n’est-ce pas ? demanda-t-il. »

-         « En effet, répondit simplement Xian. »

-         « Je connais votre langue, je l’ai apprise alors que je voyageais dans les contrées barbares du Nord du pays. C’est de là que vous venez également ? Enfin, je ne crois pas, votre accent est bien trop propre pour être celui d’un barbare, n’est-ce pas ? »

-         « Non, en effet, je ne viens pas de là. Parles-tu également la langue locale ? demanda Xian »

-         « Oui, bien sûr, répondit l’autre. Je suis né ici. »

Xian se leva soudain.

-         « Parfait ! viens avec moi, tu vas me servir d’interprète. »

-         « Mais, c’est que…commença l’autre, mais il remarqua le regard de Xian et finit par ajouter : avec plaisir votre seigneurie. »

-         « Comment t’appelle-t-on ? »

-         « Regino »

 

Xian et Regino repartirent ensemble vers la ville en quarantaine. Elle s’appelait « Santé », comme pour rire de son malheur. Une altercation avec les gardes, au sujet de renseignements que leur demandait Xian tourna en bain de sang. Xian et Regino durent repartir rapidement, après avoir occis les quatre gardes mal-embouchés. Ils s’engagèrent alors sur le chemin du manoir, mais se perdirent dans la plaine d’herbes grasses (les traces avaient disparues). Alors Xian eu l’idée de faire traduire le livre à Regino, principalement le passage avec l’assiette aux éclairs.

Après avoir énoncé la formule, les éclairs leurs indiquèrent le chemin jusqu’au manoir.

 

Grâce à Regino, Xian appris que la jeune femme, nommée Gwendoline, tenait le miroir de sa tante « fiorina », que Derek était partit avec elle à Santé et qu’elle l’avait laissé là-bas. Ses serviteurs lui avaient également appris que James était parti peu après elle à cheval, et que Gustaf, quant-à lui était parti à pied.

Xian reparti alors pour Santé, espérant y retrouver Derek, persuadé qu’à eux-deux, et avec l’aide de Regino, ils allaient traduire le livre. Pourquoi diable, la tante fiorina avait-elle construit ce miroir qui les avait probablement fait atterrir ici ?


Le Faux Roi

 

Derek était assez surpris : tout se passait beaucoup mieux qu’il ne l’aurait crû. Il allait bientôt se retrouver devant le Roi d’Ambre, qui était également son grand-père et il allait probablement l’accueillir comme il doit à son rang. Il retrouverait bientôt son titre, ses privilèges, et peut-être verrait-il son père. Bien que cette perspective ne le remplisse pas réellement de joie.

Il ne savait pas comment il s’était retrouvé dans cet étrange manoir où personne ne parlait sa langue, mais peu importait. Il était partit aussitôt levé avec une jeune personne, charmante au demeurant, qui l’avait emmené dans une ville infestée par la misère et une maladie qui recouvrait les gens de pustules horribles. Derek ne chercha pas à connaître la raison de sa présence dans cet enfer, il sortit son jeu d’atout et chercha l’image d’une personne amicale, et surtout peu dangereuse. Il hésita quelques instants, puis en se concentrant sur le visage dessiné sur la carte, réussi rapidement à établir un contact. La femme en face de lui s’étonna de le voir. Elle était très belle, mais d’une apparence peu commune. Après s’être présenté, Derek la pria de l’accueillir chez elle, ce qu’elle accepta immédiatement. Elle lui tendit une main, qu’il prit avec délicatesse, et se sentit attiré vers elle.

Il se retrouva dans une grande pièce quasiment vide. D’un coté des grandes fenêtres donnait sur un décors sous-marin, très surprenant, de l’autre une fresque en construction s’étalait sur le mur éclairé par des chandelles. Llewella, la princesse de Rebma était vêtue d’une magnifique robe de couleur verte émeraude, mais qui était tachée ça et là par des traces de peinture. Elle tenait d’ailleurs un pinceau dans l’autre main. Et quand Derek pris pied dans la pièce, elle se remis à l’ouvrage.

C’était la première fois que Derek rencontrait cette cousine. Mais il ne fut pas pour autant intimidé. Il lui fit les mondanités d’usage, et commença à l’interroger sur ses oncles et tantes : comment allait Gérard, avait-on vu Brand, ou Benedict au château ? Mais Llewella eu des réponses étranges : apparemment, elle n’avait eu de contact avec aucun des princes ou princesses d’Ambre depuis plusieurs longues années.

Elle s’intéressa cependant un peu à son hôte.

-         « J’ai peu la mémoire des visages, nous sommes nous déjà rencontrés ? demanda-t-elle. »

-         « je ne crois pas, non. Je suis Derek, fils de Corwin, répondit-il. ». Voyant la mine que la princesse fit, il précisa : « nous sommes partis en compagnie de Gérard, pour un voyage d’étude. Il y avait James, fils de Bénédict, Xian, fils de Caine et enfin Gustaf, fils de Brand. »

-         « je ne me souviens pas de ce voyage. Depuis combien d’années êtes-vous partis ? demanda-t-elle. »

-         « je ne sais pas exactement, pas beaucoup je pense. »

-         « Mais Gérard a disparu depuis 20 ans, il me semble »

 

Derek sentait l’irritation le gagner. « Elle se fout de moi, c’est pas possible, pensa-t-il ! »

 

Aussi, il décida de ne pas s’attarder, et pris le chemin du vrai château d’Ambre.

 

Quelques heures plus tard, il se présenta devant les gardes de l’entrée.

« Qui êtes-vous et que venez vous faire au château ? » lui demanda l’homme.

Il est vrai que je ne présente pas bien mon rang avec ce vêtement de voyage, pensa Derek. Pourtant, il répondit avec aplomb :

-         « Je suis Derek, Fils de Corwin, laissez moi passer ! »

Le garde, nullement impressionné rétorqua :

-         « Oui, et moi je suis Georges, fils de Paul, et alors. Cela ne te donne pas le droit de passer. »

Derek, estomaqué, tenta une autre approche :

-         « Allons, va donc faire prévenir Obéron, ton roi, que son neveu est coincé à la porte par deux imbéciles de gardes ! »

Encore une fois, le garde ne se laissa pas démonter et il répliqua :

-         « Obéron ? mais d’où est-ce que tu sorts, toi ? Le Roi d’Ambre se nomme Giaco. Tiens, regarde et passe ton chemin. »

 

L’homme lui lança une piécette d’un métal brun. Sur l’une des faces on pouvait voir le visage d’un homme (qui n’était évidemment pas Oberon) avec inscrit en Thari : S.A.S. Giaco premier.

Complètement abasourdi, Derek laissa ses pas l’entraîner vers la ville. Il s’arrêta alors dans une taverne un peu glauque pour boire un pichet. Il repéra deux minables qui avaient l’air de s’intéresser à sa bourse. Et après les avoir invités à sa table, il réussit facilement à les convaincre de l’aider à pénétrer dans le château. Le « cerveau » du groupe était un petit gars nerveux surnommé Popol-coupe-bourses, à cause de ses doigts agiles. Après quelques jours d’attente, Popol et Henri-les-gros-bras, un colosse dangereux, entraînèrent Derek aux abords du château. Un ami à eux les attendait sur le mur Est pour les faire entrer discrètement. Après quelques acrobaties, Derek, habillé en domestique, était enfin dans la place. Il abandonna ses contacts crapuleux, et pénétra dans le château, direction sa chambre. Silencieusement, il enfonça sa clef dans la serrure, et fit jouer le penne…la porte s’ouvrit dans un grincement. « Si ma clef fonctionne, c’est bien que je suis à Ambre, et pas ailleurs, pensa Derek. »

Mais, il découvrit que sa chambre était habitée par un jeune homme, sorte de nobliau, à en juger par les vêtements placés dans la penderie. Ils était à sa taille. Derek se changea prestement. Puis ainsi vêtu, il se dirigea vers la salle d’audience. « Si le Roi est là, je saurai bien lui prêter allégeance. Nous verrons ensuite pour Oberon, pensa-t-il. »

 

 

Mais en arrivant dans la salle du trône, Derek ne vit personne. Il pensa à monter jusqu’aux appartements du Roi, mais que ferait-il alors ? Plus il y réfléchissait, plus l’idée lui paraissait idiote. « Si ce fameux Roi Giaco a effectivement remplacé Oberon, c’est qu’il s’est passé quelque chose. Quelqu’un l’utilise, pour régner à la place d’Oberon. Giaco n’est, et ne peut qu’être une marionnette entre les mains d’un des princes d’Ambre. Mais lequel ? »

 

Derek interrogea alors les serviteurs du château. Il apprit alors qu’Oberon avait été carrément abdiqué en faveur de Giaco, plusieurs années auparavant. A la suite de quoi, il fut emprisonné dans les oubliettes du château. Certains vieux serviteurs parlèrent également d’une tentative des princes pour récupérer le trône qui avorta rapidement. Les princes durent alors se cacher très loin, et personne ne les aurait revu depuis lors.

 

Toutes ces informations désorientèrent Derek au plus haut point, et il ressortit du château. Popol et Henri étaient au rendez-vous. Ils avaient les bras chargés d’objets précieux, probablement dérobés dans les chambres mal fermées. Ils empruntèrent le même chemin pour rentrer, et purent regagner sans encombres les ruelles sombres de la ville basse.

 

Derek demanda s’il pouvait trouver une planque pour quelques jours. Le soir même, il était misérablement installé dans une cabane en bois, installé non loin du port. Avec, pour seule compagnie, des filets de pêche un peu moisis.


Capturés

 

Gustaf, quand James fut partit, continua son chemin dans la forêt. Tout en dirigeant ses pas vers la fameuse forêt d’Arden, il entreprit de capturer un oiseau, pour l’apprivoiser. Au bout de quelques essais infructueux, il réussi à attraper un rapace : une sorte d’aigle de petite taille, qu’il baptisa « Griffe ». Heureux de sa prise, il décida de continuer le chemin à cheval, et troqua à un paysan son fleuret contre une monture. Malheureusement, le percheron en question, était boiteux. Gustaf l’échangea dans une auberge contre un cheval de voyage, plus rapide, et en meilleure forme.

 

Après quelques jours, Gustaf, qui avait dressé son rapace comme le lui avait appris Aaron, l’oiseleur qu’il avait fréquenté dans sa jeunesse, était en vu du château d’Ambre. Il arriva devant les gardes de l’entrée et fut surpris que ces derniers ne le laisse pas entrer. En échangeant quelques mots avec eux, il apprit que personne ne les connaissait, que les princes d’Ambre étaient chassés par des agents spécialement entraînés, et qu’Obéron était mort, laissant son trône à un illustre inconnu. Complètement abasourdi, le jeune homme descendit jusqu’à la ville portuaire. Il observa les bateaux qui déchargeaient leurs marchandises, les hommes qui s’affairaient, les pêcheurs…Il vit un misérable cabanon. Il s’approcha, se demandant à quoi pouvait il bien servir. Puis finalement, il prit le chemin des plages.

 

Il médita plusieurs heures sur la situation extrêmement étrange qu’il rencontrait, laissant son cheval paître dans un champ proche. Se pourrait-il qu’il ne soit pas à Ambre ? Qu’il s’agisse d’une ombre ? A moins que quelqu’un s’amuse à ses dépends. Alors qu’il réfléchissait, il vit s’approcher des cavaliers en noir, portant des croix blanches sur le cœur, qui venaient de la ville.

-         «  Bonjour, leur dit-il. »

-         « Bonjour répondit celui qui paraissait le plus âgé. Je suis le révérend Arti, et voici mon assistant Liander. Il ajouta : auriez vous l’amabilité de me fournir votre carte généalogique ? »

-         « Ma carte quoi ? demanda Gustaf surpris. »

-         « Votre carte généalogique. Vous savez, celle sur laquelle sont inscrit vos ascendants et descendants, expliqua le vieux ».

-         « Heu, malheureusement, j’ai bien peur de ne pas l’avoir sur moi, répondit Gustaf. »

-         « Bien, ce n’est pas si grave, cela peut arriver à n’importe qui. Par contre, je me demandais si, ce que vous aviez dans votre poche, là, attachée à votre ceinture, ne serait pas un jeu de tarot, comme celui-ci, dit le révérend, en sortant un jeu de carte qu’il se mit à parcourir. »

Observant les gestes du révérend, Gustaf comprit qu’il devait le comparer aux illustrations des cartes. Il remarqua également que le jeune apprenti semblait nerveux, tripotant l’arbalète fixé sur le coté de sa selle.

-         « J’ai effectivement un jeu comme le votre, voudriez vous le voir ? demanda innocemment Gustaf au révérend. »

-         « Bien volontiers. »

Gustaf tendit alors son jeu au révérend, mais lorsque ce dernier se pencha pour saisir le paquet, Gustaf lui saisit le poignet, et d’une forte et rapide traction, le désarçonna. Avant que Liander ne réussisse à saisir son arbalète et la braquer sur lui, Gustaf avait le révérend Arti devant lui, une lame sur la gorge. S’engagea alors une longue négociation où le révérend Arti entreprit de convaincre Gustaf de se rendre. Argumentant qu’ils avaient déjà capturé bon nombre de princes d’Ambre, qu’il était inutile de vouloir bêtement se défendre. Mais la morsure de l’acier sur sa gorge dû l’aider à proposer une autre alternative, et finalement, chacun partit de son coté, sans s’en prendre à l’autre.

 

 

***

 

 

James, quant à lui, avait également tenté de joindre Ambre, la ville mythique. Après avoir abandonné Gustaf, il s’était enfoncé dans la forêt. Peu à peu les arbres devinrent plus hauts, plus touffus, plus majestueux. La forêt prenait doucement des aspects impressionnants. James espérait alors rejoindre la forêt d’Arden. Mais après quelques jours de marche dans cette immense forêt, il estima qu’il ne devait pas connaître suffisamment ce chemin. Il faut dire qu’il ne se promenait pas souvent dans cette forêt magnifique mais dangereuse qui bordait l’ouest du Kolvir, la colline qui supportait le château d’Ambre. La dernière fois qu’il s’y était aventuré, cela avait failli finir très mal.

 

C’était lorsqu’ils avaient environ 10 ou 11 ans. James, ainsi que Xian, Derek et Gustaf suivaient l’enseignement de leur nourrice et gouvernante : Dame Geneviève. Il leur était alors interdit d’aller seuls dans la forêt. Surtout la nuit…pourtant James avait réussi ce soir là, à entraîner Xian dans la forêt (à moins que ce soit Xian qui l’ait entraîné lui. James ne se le rappelait pas avec exactitude). Gustaf les avait suivit, Derek quant-à lui était resté au château.

Mais ils furent interceptés par l’un des hommes de leur oncle Julian. Ces hommes étaient, en quelque sorte, les gardiens de la forêt. Celui-ci s’apprêtait à les ramener quand ils furent attaqués par un fauve de la forêt. C’était une sorte de panthère noire, très trapue, et dont les puissantes canines sortaient de la mâchoire. L’homme fut tué par l’animal, mais, grâce à leur courage, et, il faut bien l’avouer, une bonne dose de chance, les trois jeunes gens réussirent à abattre le félin. Depuis lors, aucun d’eux n’avaient retenté l’expérience.

 

James décida donc de tenter une approche par la mer. En effet, il connaissait beaucoup mieux la mer et le port d’Ambre que la forêt. Il ne devrait alors pas être extrêmement compliqué pour lui, une fois sur un navire, d’arriver jusqu’en Ambre. Ses pas le conduirent à une petite ville portuaire. Alors qu’il recherchait quelqu’un qui voudrait bien lui vendre un bateau, il remarqua deux hommes, habillés de tuniques noires agrémentées d’une croix blanche sur la poitrine, qui interrogeaient les étrangers. En s’approchant, il découvrit qu’ils recherchaient des voyageurs d’ombre ! En effet, ils demandaient aux personnes qu’ils interrogeaient de leur fournir une carte généalogique. Apparemment, tous les habitants de ce pays sont sensés en posséder une. Evidemment, il n’est pas facile pour quelqu’un qui vient tout juste d’entrer dans l’ombre de se procurer un document plus ou moins authentique.

Ne voulant pas d’histoires, James décida de se rendre dans une autre ville, sur une autre ombre. Mais encore une fois, des hommes recherchent les voyageurs d’ombre, et même les porteurs de jeux de tarot. Après plusieurs autres tentatives infructueuses, il décida de se confronter un peu à ces agents de l’église comme les appellent les gens, histoire d’en savoir tout de même un peu plus sur cette organisation qui semble opposée aux Ambriens.

Donc, après s’être fait demandé un carte généalogique qu’il ne pu, bien évidemment, pas fournir, il fut arrêter par deux agents. Quand ils furent sûr qu’il était bien un voyageur d’ombre, il l’embarquèrent sur un navire pour le mener devant l’archidiacre, qui devait être le chef de l’organisation.

Mais James, en voulant jouer un tour à ses dépositaires, fit une erreur qui lui coûta cher. En effet, le navire dans lequel il avait embarqué était un navire voyageant sur un lac à une vitesse très importante, grâce à une voilure surdimensionnée, et aux vents violents qui soufflaient continuellement sur le lac. Son idée étaient de faire arriver le bateau dans un port qui n’était pas celui qu’il aurait du atteindre. Et ça fonctionna à merveille. Mais, ce que James n’avait pas remarqué, c’est que le bateau n’avaient rien pour se freiner de lui même. Généralement, ce genre de navire était stoppé par un système de cordes tendues devant le port. Mais, du fait que le port n’était pas prévu pour accueillir ce type de bateau, il n’y avait pas de système de freinage, et lorsque le comandant de navire s’en rendit compte, il était déjà trop tard et le voilier s’écrasa très brutalement. James fut projeté contre un mur de la rue. Il sentit une douleur fulgurante lui parcourir le dos, et pu seulement cacher son jeu d’atout avant de sombrer dans l’inconscience.

 

 

***

 

 

Entre temps, Xian était arrivé à Santé, qui était toujours en quarantaine. Il réussi à s’introduire à l’intérieur, et entreprit de rechercher Derek. Quand il fut certain qu’il ne s’y trouvait plus, Il voulu sortir de la ville, mais les gardes chargés de maintenir la quarantaine étaient plus coriaces que prévu. Xian essaya alors de changer d’ombre en parcourant les rues désertes de la ville. Malheureusement, ce ne fut pas vraiment facile, et il lui fallu attendre le lendemain pour y arriver. En fait, il se retrouva dans une ville très semblable à Santé, mais réellement déserte. Il n’y avait plus aucune trace de vie dans la ville, et fort heureusement, personne ne gardait sa sortie.

Continuant ses pérégrinations à travers les ombres, Xian arriva en vue d’une petite ville. Le panonceau à l’entrée indiquait « Dordine ». A peine avait-il fait quelques pas dans la grande rue centrale, qu’il fût abordé par deux hommes vêtus de bures noires avec croix blanches sur le cœur qui lui demandèrent sa carte généalogique. Tout en restant très calme, Xian les interrogea adroitement sur leur religion. Il apprit que cette religion du « vrai dieu », comme ils la nommaient, semblait en vouloir aux marcheurs d’ombre (selon les termes employés par les deux hommes). Comme ils s’impatientaient, Xian leur avoua ne pas posséder de carte généalogique, et il se laissa docilement enfermer dans un chariot-prison tiré par deux bœufs. Ses affaires personnelles furent enfermées avec lui dans un coffre sous le siège unique du véhicule.

Peu après, le chariot sortit de la ville, avec les deux agents pour toute escorte. Xian continua de discuter avec le révérend Horlat, afin d’en apprendre le plus possible sur cette mystérieuse organisation religieuse anti-ambrien. Le révérend s’avéra être très loquace. Apparemment, il était même très fier d’expliquer à son prisonnier de quelle habile façon l’Eglise repérait et capturait les dangereux marcheurs d’ombre comme lui. Il apprit ainsi que la section chargée de traquer les ambiens s’appelait le SIRO, que ces agents, formés tous à un endroit précis que Xian ne connaissait pas, apprenaient à repérer un ambien grâce à trois éléments essentiels. Premièrement, il est inconnu ou presque dans la ville (les agents doivent être extrêmement physionomistes : on leur apprend à reconnaître quelqu’un même s’il ne l’ont vu qu’une seule fois auparavant). Ensuite, il ne possède pas de carte généalogique et enfin, il garde souvent sur lui un jeu de tarot ayant la particularité de représenter la famille entière des marcheurs d’ombre. C’est d’ailleurs grâce à ces même cartes que les marcheurs d’ombre importants furent capturés ou tués, puisque les agents avaient appris à reconnaître leurs visages pendant leur formation.

Quand il eut apprit tout ce qu’il désirait savoir, Xian réfléchît à la meilleure chose à faire. Il avait deux options : soit sortir du chariot, et s’enfuir, soit se laisser emmener jusqu’à l’inquisiteur, l’homme qui devra statuer sur son sort. Après une courte réflexion, il décida de ne pas attendre de rencontrer l’inquisiteur, et il entreprit d’ouvrir le coffre sous son siège.


La libération

 

Quand James reprit enfin ses esprits, il constata qu’il était enfermé dans une sorte de calèche en métal. La douleur qui le lançait dans le dos lui fit préférer l’attente et le repos à l’action et la fatigue. Après quelques heures de route, la calèche pénétra dans une ville et s’arrêta sur le parvis d’un grand bâtiment, une sorte de temple. L’agent qui l’escortait jusqu’à l’intérieur appelait ce lieu une cathédrale. L’intérieur de la cathédrale était vraiment très impressionnant : la voûte culminait à quelques trentaines de mètres, des vitraux reflétaient des couleurs chatoyantes, des milliers de bougies donnaient une atmosphère feutrée et chaude malgré la fraîcheur de l’air.

A l’extrémité de la grande salle, on pouvait voir une estrade, sur laquelle reposaient trois fauteuils. Seul celui du centre était occupé. L’homme était richement vêtu d’une robe rouge et or, il portait une tiare sur le chef et brandissait un sceptre de sa main droite. Son visage était gras, ses yeux rougis.

L’agent ordonna alors à James de s’agenouiller devant l’archidiacre. Le procès de James commença. Le voici accusé d’être un « infâme » voyageur d’ombre, opprimant les honnêtes « êtres stables », en se faisant passer pour prince ou démon, démon qu’il ne pouvait qu’être et que l’archidiacre condamna immédiatement à demeurer emprisonner à vie, les yeux crevés au fer rouge. James réalisant que ce procès n’était qu’un simulacre et qu’il ne pouvait en aucun cas être sauvé par une éventuelle justice, décida de prendre en main sa libération.

Alors que l’agent l’emmenait vers un escalier qui menait probablement aux salles de supplices, James repéra une épée abandonnée sur le bord d’un banc. Décochant un magistral coup de pied à son geôlier, James atteignit l’épée et la dégaina. L’agent l’imita et tous deux se retrouvèrent face à face. Premier échange de coups. James était plus rapide mais l’agent était plus puissant. James attaqua, l’agent recula et perdit l’équilibre. James voyant une ouverture se rua dans la brèche, et esquiva de peu la lame que l’agent avait relevé contre son ventre. La contre-attaque fut fulgurante, James vit son heure arrivée, mais un réflexe foudroyant lui permit de défaire son adversaire alors que celui-ci allait l’achever.

Dans la fureur du combat, James n’avait pas remarqué le son bruyant d’une cloche, attirant les soldats postés à l’extérieur. Pour fuir ses assaillants, il se réfugia dans un escalier étroit. L’astuce fut efficace, les ennemis n’osèrent pas avancer, l’avantage de James étant trop important et ils avaient déjà perdus deux des leurs. Mais James n’était pas tiré d’affaire pour autant. Il grimpa jusqu’au sommet de l’escalier, et se retrouva avec stupeur, tout en haut d’un clocher, à plus de cinquante mètres de haut !

Il entendit les hommes grimper lentement les escaliers. Bientôt ils seraient là, et il ne pourra certainement pas les tuer tous. En bas, sur le parvis, il n’y avait que la calèche et quelques chevaux. Alors, tentant le tout pour le tout, James attrapa la corde de la cloche et se jeta du clocher. La cloche sonnait, la corde bougeait, James s’accrochait et descendait. Apparemment la corde arrivait jusqu’au sol. Mais les agents étaient déjà au sommet, et, alors que James avait à peine atteint le toit, ils sectionnèrent la corde. James glissa sur le toit, se rattrapa in extremis à une gargouille, glissa le long d’une sorte d’arche, et atterrit très brutalement sur le sol dallé. La douleur dans le dos le traversa. Il put encore se hisser péniblement sur la croupe d’un cheval, et réussit à s’enfuir.

 

 

***

 


Malgré tous ses efforts, Xian n’arrivait à rien avec la serrure du coffre. Alors, il s’arrangea pour gagner du temps. Puisqu’il était en mouvement, et qu’il lui était possible d’observer le paysage par une sorte de petite ouverture, Xian se dit qu’il devait probablement pouvoir modifier les ombres. Il s’assit donc confortablement, et commença à se concentrer sur la marelle. Observant le chemin devant lui, il s’aperçu qu’il était en terre, et assez régulier. Il commença par modifier ce détail. Peu à peu, le chemin qu’ils empruntaient, devenait de plus en plus irrégulier. Le chariot ralenti. Ensuite, Xian s’appliqua à faire en sorte que les arbres de la forêt qu’ils traversaient deviennent plus grands, plus sombres. Doucement la forêt s’intensifiait, devenait plus touffue, plus dense.

Le jeune agent s’en inquiéta, et demanda au révérend Horlat s’ils ne s’étaient pas trompé de route. Le révérend, probablement pour rassurer son novice, décida de continuer. « Nous nous sommes peut-être juste éloignés de la route habituelle. Rien de grave, dit-il ».

Quand la nuit arriva, ils étaient complètement perdus ! Ils établirent un campement de fortune et sombrèrent dans le sommeil. Au matin, Xian avait décidé de se servir du coffre contenant ses armes pour ouvrir sa porte. « Peu importe le bruit que cela fera, au pire, ce sont mes gardiens qui ouvrirons pour voir ce que je fabrique, pensa-t-il »

Il saisit alors le coffre et en asséna de grands coups sur la porte. Mais, non seulement la porte se semblait pas vouloir céder, mais les agents ne semblaient pas s’inquiéter du bruit. Xian redoubla d’efforts, mais sans d’avantage de résultats.

 

Pourtant, tout à coup, la porte s’ouvrit ! Et c’est James qui tenait la poignée. Il semblait fatigué, blessé et n’avait plus sa fameuse épée, celle qui émettait un sifflement  lorsqu’on la tirait du fourreau.

 

Après retrouvailles et explications réciproques, les deux cousins décidèrent d’aller retrouver l’archidiacre, et de lui tirer les vers du nez. Abandonnant le révérend Horlat dans une ombre désertique, ils repartirent en direction d’une ville portuaire. En chemin, ils découvrirent, grâce à une habile manipulation des probabilités, l’épave d’une calèche qui avait versé sur le coté. En la fouillant, ils découvrirent, comme par hasard, une cassette contenant une grande quantité de pierres précieuses.

Dans la ville, qui possédait elle aussi son église, ils s’achetèrent des vêtements, un navire et un équipage. Et, le jour même, ils appareillaient. Direction : Ambre.

 

Le capitaine du navire, un certain Kazé, possédait une carte étrange, sur laquelle étaient visibles des symboles de cartographie, semblable à ceux étudiés par les quatre compères à l’institut de cartographie d’Antoméra, la ville-monde. James se mit alors à tenter de comprendre la fameuse carte, pendant que Xian dirigeait le voyage.

Le navire vogua sans encombres pendant toute la journée.

Voyant que le soir approchait, Xian estima plus prudent d’arrêter ses manipulations d’ombre. D’autant qu’il se sentait fatigué par cet exercice nouveau pour lui. Pourtant, il voulu tenter une petite expérience. Pouvait-il, sans changer d’ombre, faire en sorte d’un événement particulier se produise ? Il fallait essayer. Il se pencha alors vers la surface de l’eau et imagina qu’une créature lumineuse pouvait très bien apparaître. Une sorte d’araignée d’eau phosphorescente, petite et inoffensive, vint s’accrocher à la coque du navire. Très fier de sa réussite, Xian s’apprêtait  à rejoindre James dans la cabine du capitaine, lorsqu’il s’aperçu qu’une pâleur anormale éclairait tout le pourtour du bateau. Il se pencha par dessus le bastingage et vit que la luminosité provenait de millier de petites araignée d’eau comme celle qu’il avait fait venir l’instant précédent.

Très vite, tout l’équipage était sur le pont. Les marins étaient très inquiets, et Xian avait beau dire que ces bestioles étaient inoffensives, la panique montait à bord. Xian et James se demandaient ce qu’ils devaient faire, quand un marin attira leur attention.

« Regardez-là-haut ! Un oiseau géant ! »

Tout le monde leva les yeux. Il y avait effectivement un gigantesque forme sombre qui planait au dessus d’eux. Puis tout à coup, l’animal plongea sur le navire et le percuta de plein fouet. Tout le monde fut renversé. La coque avait apparemment tenue. Mais il était clair pour tout le monde qu’elle ne supporterait pas un second assaut.

Lors du premier passage, Xian et James avaient eu le temps d’observer la bête. Elle ressemblait à un raie, sauf qu’elle volait ! En étant un peu attentif à la réaction de bateau et à la course de l’animal, James comprit qu’elle se nourrissait probablement des petites araignées phosphorescentes et qu’elle allait sûrement faire un nouveau passage.

Il prit alors un grand harpon, fixa à son extrémité une corde, et s’approcha du bord du bateau, celui où elle allait certainement arriver. L’ombre du monstre volant apparut sur l’eau. James se prépara à frapper. Mais la « raie manta » volante plongea sous le navire, happant un grand nombre de petites araignées luisantes au passage. James se précipita à l’autre bord, harpon à la main. Le navire fut secoué d’un violent choc, un terrible craquement se fit entendre. L’animal émergeait brusquement, emportant le bateau. James, ébranlé, ne put ajuster son tir. Mais il frappa tout de même, et atteint la bête dans le dos. Nullement affectée, le monstre reprenait de la hauteur, le harpon dont la corde se déroulait entre les jambes de James toujours fiché dans sa chair. Alors, réagissant à une intuition, James saisit la corde, et s’éleva dans les airs à la suite de la raie.

 

Pendant ce temps, le bateau, littéralement brisé en deux, coulait rapidement.

 

 

***

 

Très loin de là, caché des yeux de l’église au sein de l’orgueilleuse Ambre, Derek, qui avait pris la tête d’une petite bande de malfrats, voleurs et autres gens peu recommandables, glanait des informations sur la politique Ambrienne, et sur l’organisation de l’église. Peu à peu se formait dans son esprit l’hypothèse que l’église ne pouvait qu’être manipulée par un Ambrien. Un homme (ou une femme) qui utilisait cette organisation pour contrôler Ambre, grâce à cette marionnette qu’était le roi Giaco, et surtout pour contrôler les princes d’Ambre. En effet, l’organisation très hiérarchisée de l’église, son existence sur toutes les ombres connues, et l’acharnement des agents du SIRO obligent visiblement les princes à se terrer dans des ombres de faible importance.

Mais comment faire pour savoir qui est derrière tout ça ?

Après des semaines d’enquête, Derek avait assez de renseignements pour mener à bien son projet : infiltrer l’église et devenir agent du SIRO.

 

***

 


Dworkin

 

Après son altercation avec les agents de l’église, Gustaf décida de rester à l’extérieur de la ville. Inutile, en effet, d’aller les narguer. Que pouvait-il faire ? Vers qui se tourner ? Machinalement, Gustaf sortit son jeu d’atouts et se mit à manipuler les lames. Les visages de ses oncles et tantes défilèrent devant ses yeux. Son attention fut retenue par l’atout de son grand-père : Oberon. Se pourrait-il qu’il soit effectivement mort ? ou capturé ? Renonçant à la tentation, probablement à cause de sa dernière conversation avec son père, Gustaf continua de regarder les différents visages, pour s’arrêter de nouveau sur l’un d’eux.

C’était l’atout de Dworkin. Ce curieux personnage, qui passait pour le mage le plus puissant du royaume, avait toujours été amical avec lui. On raconte même qu’il aurait lui-même créé tous les jeux d’atout familiaux. Donc s’il a fait une lame d’atout consacré à lui, c’est qu’il accepte d’être contacté.

Gustaf se concentra sur le visage ridé du vieillard bossu. Rapidement l’image prit une certaine consistance, et Gustaf se retrouva face à face avec Dworkin.

Dworkin ne semblait pas surpris de le voir. « Bonsoir, lui dit-il ». Etonné que le vieillard l’ai reconnu du premier coup, alors qu’il ne l’avait rencontré qu’enfant, Gustaf entra précipitamment dans le vif du sujet. « Où se trouve Obéron ? Qui est ce Giaco ? Qu’est-ce que c’est que l’église et son vrai dieu ? » Mais les réponses du vieux bonhomme étaient on ne peut plus énigmatiques. Quand Gustaf rompit le contact, toutes ses idées étaient mélangée. Selon Dworkin, Obéron serait sur le trône, Giaco un vulgaire intendant, l’église du vrai dieu n’existe que dans son imagination, et plein d’autres certitudes vraiment étranges. Pour finir, Gustaf avait demandé à Dworkin s’il pouvait l’aider à retrouver ses trois cousins : James, Xian et Derek, en échange d’un service. Dworkin pour toute réponse, prit un morceau de parchemin, un fusain et crayonna rapidement quelque chose à Gustaf, puis il rompit le contact d’atout.

Quand son regard se posa enfin sur le parchemin, Gustaf fut très étonné d’y voir, non pas les visages de James, Xian et Derek, mais bien ceux de leurs parents ambriens. En effet, il avait devant lui les représentations de Benedict, Caine et Corwin.

« Pourtant, ils ont l’air plus jeunes, se dit Gustaf. Peut-être bien que le vieux renard ne connaissait pas assez bien les trois lascars, pour en faire une représentation parfaite, et donc, qu’il a utilisé le visage de leurs aînés en lieu et place. Dans ce cas, il est possible que l’utilisation de ces atouts permette réellement de contacter mes cousins directs. »

Cependant, Gustaf hésitait à utiliser ces atouts. Que risquait-il de lui arriver si c’est effectivement Benedict ou Caine qu’il contacte ? Il décida de remettre sa décision au lendemain. Il passa la nuit dans les fourrés, avec « Griffe », le rapace qu’il avait entreprit de dresser, pour seule compagnie.

Au lever du jour, il ressortit le jeu d’atout de son sac, et comme la veille, il entreprit de les observer, l’un après l’autre. Cette fois-ci, il prit celui de Florimel, sa superbe tante que tous les membres de la famille appellent également Flora. Il se concentra, la carte refroidit comme à chaque fois, et le visage de Flora apparu. Mais son accoutrement surprit Gustaf au plus haut-point. En effet, elle qui était normalement toujours vêtue à la dernière mode, ou plus exactement, qui créait la mode, était habillée d’une tenue de paysanne, ou quelque chose s’en approchant. Malheureusement, sa surprise dut être perçue par la belle qui s’en trouva fâchée, et rompit le contact.

Gustaf n’eut pas le loisir de faire un nouvel essai. Quelques minutes après avoir quitté la conversation avec sa tante, il entendit des aboiements nombreux. Il grimpa au sommet de l’arbre qui l’abritait, pour observer la scène. Et discerna ce qui ressemblait furieusement à une battue.

« Une battue ? Que chassent-il donc séant ? se demanda Gustaf. »

En observant plus attentivement, il remarqua que tous les participants portaient le même accoutrement sombre…des agents de l’église !!! Il réussit même à reconnaître le révérend Arti, qui avait manifestement manqué à sa parole. C’était bel et bien lui qu’on traquait de la sorte !

Ni une ni deux, il descendit de son perchoir, et s’enfonça dans la forêt. Après une course effréné, il crut un instant les avoir semés. Mais en fait, c’était tout le contraire, il s’était fait rabattre vers une autre troupe et il était maintenant complètement encerclé ! Aucun moyen de fuir.

Alors, jouant le tout pour le tout, Gustaf sortit l’esquisse que Dworkin lui avait fait, et se concentra sur le premier visage qui croisa son regard, celui de Caine. Le parchemin se glaça, l’image prit une troisième dimension, Gustaf entendait les chiens qui approchaient, ils étaient tout près, mais il resta concentré. Il se sentit alors tiré en avant, comme aspiré par l’atout, alors qu’une flèche d’arbalète venait se ficher non loin de l’endroit où s’était trouvée sa tête un instant plus tôt.

Gustaf abasourdi tâta ses membres et sa tête, comme pour vérifier que tout allait bien. Il était sain et sauf.

 

***

 

 

Quand le contact fut rompu, Dworkin se leva de sa table de dessin. Son visage exprimait une sorte d’amusement. Il s’approcha de l’âtre et ajouta deux bûches sur le feu mourrant, qui reprit alors rapidement. Quand la clarté augmenta suffisamment, Le vieil homme se rassit sur son fauteuil, en face du jeu.

Sur l’échiquier, la situation avait changée. Les pions noirs semblaient comme bloqués par les quatre nouvelles pièces. Une de ces pièces étaient restés proche du roi, les trois autres avaient pénétré la défense adverse. Mais pas de manière coordonnée, selon une tactique apparemment inexplicable. D’une main ridée, il ajouta alors une nouvelle pièce blanche. Un deuxième cavalier vint rejoindre le camp blanc.

 

« Voyons maintenant comment va réagir notre valeureux cavalier »

 

 

***

 


Péripéties pour une monture

 

 

Au troisième passage du monstre, le navire fut coupé en deux. La dernière chose que vit Xian avant de tomber à l’eau ce fut James, accroché à la queue de l’animal par un harpon.

Finalement, il ne resta que peu de survivants. Beaucoup d’hommes étaient mort sous l’impact, ou avaient coulé avec le bateau. Sur le radeau de fortune qu’ils avaient réussi à construire avec des restes de l’épave, il ne restait qu’une douzaine de marins, dont Kazé, le capitaine.

Selon lui, la côte la plus proche devait être à plusieurs jours, si les courants les y poussaient. Mais rien n’était moins sûr. Pourtant, le lendemain, une côte était en vue.

Xian avait manipulé les ombres de façon à ne pas rester trop longtemps dans cette situation délicate. Il avait tenté de faire ça discrètement, mais c’était la première fois qu’il modifiait un trajet maritime. Et, alors que tous les marins se réjouissaient de voir une belle plage, bordée de pommiers, Kazé s’approcha de lui.

« Dîtes moi, lui dit-il ? Vous devez être un marcheur d’ombre, non ? »

Surpris, Xian resta méfiant. « Je ne vois pas de quoi vous parlez, répondit-il. »

« Ha bon. C’est juste qu’il me paraît vraiment étrange de trouver une terre aussi rapidement. Surtout un verger en bord de mer, c’est plutôt rare dans le pays. Mais, c’est pas mes oignons après tout. »

 

Ils accostèrent sur le rivage, se rassasièrent de pommes, et s’abreuvèrent de l’eau d’une source proche. Puis, épuisés, s’endormirent sur la plage. Sauf Xian. Xian qui n’était pas fatigué, n’avait pas sommeil et surtout n’avait pas confiance en ces hommes. Pendant que les marins se reposaient, il explora les environs. Il marcha quelques heures dans cet immense verger naturel qui semblait s’étendre à perte de vue. Il réfléchissait à l’intérêt d’entreprendre un voyage en ombre, et se disait qu’une monture serait tout de même plus pratique pour courir les sentiers. Quand soudain, il entendit un grondement sourd, accompagné d’un nuage de poussière au loin. Des cavaliers venaient dans sa direction. Il trouva un endroit pour ne pas être vu trop vite. Et quelques minutes plus tard, une vingtaine de chevaux passèrent non-loin de lui.

 

C’étaient des chevaux sauvages qui venaient boire à la source d’eau fraîche. L’un d’entre eux était un énorme étalon noir, magnifique, sec, musculeux, agressif… A peine Xian l’avait-il vu qu’il le voulut. Après une approche lente et sûre, il réussi à lui passer un collet, fait avec les cordage du navire. Sa réaction fut si brutale que Xian se retrouva à plusieurs mètres du sol, projeté par la force de sa ruade. Une douleur fulgurante lui traversa le bras. La violence du choc lui avait démis l’épaule. Mais il n’abandonna pas. Serrant les dents, il retourna à la charge. Et encore une fois, l’animal lui fit mordre la poussière. Ce ne fut qu’après une lutte acharnée de plusieurs heures qu’il parvint enfin à l’attacher à un arbre.

 

 

Plusieurs jours après, nécessaire au débourrage et au dressage de sa nouvelle monture, qu’il baptisa Oni no Akuma, ce qui signifie démon de ténèbres dans la langue de sa mère, il prit enfin la décision de partir de cette ombre, emmenant avec lui les survivants qui voulaient bien le suivre.

 

 

***

 

James, pour sa part, était également au prise avec une monture. Mais il ne s’agissait pas d’une monture ordinaire. Dresser une raie manta géante et volante n’est pas chose aisée vous diront les rares qui ont essayé.

 

En effet, après avoir réussi à s’attacher avec la corde du harpon, au prix d’énormes efforts, James fut terrassé par la fatigue, et sombra dans un sommeil très loin d’être réparateur.

Il s’éveilla au bout d’un temps indéfinissable, les membres ankylosés, et une douleur lancinante dans le dos. Par contre, l’animal ne volait plus. Il semblait s’être posé pour dormir lui aussi. James en profita pour confectionner une sorte de harnais qu’il fixa sur le dos du monstre. Il mis aussi au point une bride qu’il fixa sur les deux appendices que la raie avait sur l’avant de la tête.

 

Quand elle s’éveilla et prit son envol, James tenta de la diriger en tirant sur la bride. Mais rien n’y fit. Bientôt elle rejoignit une immense procession de raies manta qui volaient de concert. Le jeune homme voulu alors provoquer un changement de direction. Il fit appel au pouvoir de la marelle pour changer d’ombre. Apparemment sa manipulation réussie, mais cela n’affecta pas les mantas. Elles semblaient comme attirées irrésistiblement. Une attirance qui se prolongeait même en changeant d’ombre.

 

Alors James remarqua des ouvertures à l’extrémité des deux appendices. Grimpant jusqu’à elles, il entreprit de les obturer avec des morceaux de tissus arrachés à ses vêtements. Quand le dernier trou fut bouché, la raie se détacha alors du reste de l’étrange troupeau. James tira alors de toutes ses forces sur la bride, et la manta prit de la hauteur. Il se pencha en avant et la manta piqua vers le sol. Après quelques essais, il avait réussi à la diriger à peu près convenablement.

 

Suivant alors la longue procession des manta, il découvrit qu’elles se jetaient dans la gueule d’un immense prédateur dont il ne vit que la mâchoire et l’énorme dentition. Il avait eu chaud.

 

Suivit alors un lent apprentissage où James dû parfaire sa technique de dressage, notamment pour le décollage et l’amerrissage qui restaient extrêmement hasardeux. Il lui fallu plusieurs semaines pour maîtriser parfaitement sa nouvelle monture. Il avait même passé du temps à construire une cabane au sommet du pic sur lequel la manta se reposait.

 

Maintenant qu’il pouvait se diriger rapidement, d’une ombre à l’autre, sans risque de rencontres avec les agents de l’église, James se décida à partir de son refuge pour retrouver son cousin Xian.

 

Mais où pouvait-il bien être après tout ce temps passé ?

 

 

 

***


Caine

 

Quand il eut bien vérifié être entier, Gustaf s’intéressa à l’endroit où il avait atterri. Il était tout de même surprenant qu’un atout aspire ainsi son utilisateur. Mais bon, la visite valait le coup d’œil. En effet, il semblait à Gustaf avoir débarqué dans une bibliothèque. Des centaines d’ouvrages, plus ou moins anciens à en juger par les couvertures, étaient alignés sur des étagères. De plus ils étaient rédigés en Thari ! Mais la curiosité de Gustaf fut rapidement déçue. Chaque livre renfermait des informations complètement incompréhensibles pour le jeune homme.

 

Il décida donc de faire le tour du propriétaire. Il se trouvait dans une sorte de maison coquète sur un seul étage, d’un style rappelant un peu certains monastères à cause des colonnes ouvertes sur un patio. A l’extérieur, l’herbe était grasse, et des orangers étaient soigneusement alignés à perte de vue. Mais Gustaf ne distingua rien qui lui laissa supposer que quelqu’un d’autre habitait dans les environs. Il s’agissait probablement d’une ombre vide, simplement utilisée par quelqu’un pour se reposer au calme.

 

Après la visite, le jeune homme retourna dans la bibliothèque, espérant y trouver un ouvrage qu’il pourrait comprendre. Il était là, à farfouiller parmi les étagères, feuilletant les livres, lorsque la porte s’ouvrit à la volée.

Un homme, habillé d’une longue cape brune agrémentée d’une capuche, le regard reflétant une expression de rage à peine contrôlée entra, pointa son doigt vers lui et d’un geste brusque lui indiqua la direction de la fenêtre. Alors Gustaf se sentit soulevé de terre, et comme s’il n’avait pesé que quelques plumes, il fut emporté par une force invisible. Il traversa violemment la fenêtre, fracassant le chambranle, explosant la vitre. Il se protégea instinctivement les yeux pour ne pas recevoir de morceaux de verre.

 

Quelques seconde plus tard, alors qu’il se relevait péniblement, l’homme, qui n’était autre que Caine, l’un de ses oncles, le père de Xian, le rejoignait dans l’orangeraie.

« QUI ES TU ? » hurla-t-il. Joignant un geste à la parole, Gustaf sentit un formidable coup le frapper au visage, précédé d’un souffle de vent. Le nez cassé, il roula dans l’herbe. Il essaya de se relever à nouveau.

« QUE FAIS TU ICI ? » le relança Caine. Au même moment, il perçu le souffle arriver vers lui, il se prépara au nouveau coup, qui le toucha au ventre. Le souffle coupé, Gustaf roula à nouveau sur le sol, quelques côtes certainement fracturées.

Alors qu’il se relevait péniblement, une force incroyable le souleva du sol et le maintenait en l’air à quelques centimètre du sol, comme si une main gigantesque le tenait dans le creux de sa paume. Caine s’approcha, le poing fermé devant lui, et attendit la réponse de l’intrus.

Dans l’état dans lequel il se trouvait, Gustaf n’eut pas le cœur à mentir, ni même à omettre quoi de ce fut. Il raconta donc tout à son oncle. Antoméra, le miroir, l’église, la discussion avec Dworkin, la présence de James, Derek et Xian, ainsi que leur ascendance. Mais cette révélation faite avec la plus grande sincérité ne provoqua pas la réaction attendue. En effet, Caine serra son étreinte et Gustaf suffoquait de plus en plus à mesure qu’il racontait son récit. Et lorsqu’il arriva au passage de la présence de Xian, il fut projeté contre le mur de la bâtisse. Le choc fut tel qu’il eut l’impression d’exploser. « MENTEUR !!! » criait Caine.

 

Gustaf ne comprenait plus rien. Alors qu’il recevait un déluge de coups, brisant ses membres un à un, il essayait de dire que ce n’était que la stricte vérité. Pourquoi donc caine ne voulait-il pas le croire ?

« JE N’AI PAS DE FILS, ET BRAND NON PLUS !!! » ajouta alors le magicien.

« Pourtant je suis le fils de Brand » réussit à dire Gustaf entre deux chocs.

La main magique s’arrêta alors de le frapper, pour de nouveau le saisir et tenir en l’air. « PROUVE LE » rétorqua Caine.

 

…Pas d’écusson, pas de bijoux qui aurait appartenu à sa famille, pas de détail de son père avec lequel il n’avait jamais vécu, rien qui pouvait l’aider à prouver son appartenance à la famille…il était roux pensa-t-il…et alors ? il existe beaucoup de roux, et tous ne sont pas les enfants de Brand…

Alors, Gustaf rassemblant ses dernières forces tira sa dague avec son bras encore valide et dit : « Voilà ce dont la folie qui coule dans le sang des rouquins me rend capable! »

Et d’un geste décidé, il retourna sa dague contre lui et se creva l’œil droit. La douleur fut insoutenable, il sentit le sang jaillir sur sa joue, et sombra dans l’inconscience.

 

 

***

 

 

 

Derek de son coté était toujours caché en Ambre. Il avait réussi à se procurer une fausse carte généalogique. Sa nouvelle identité en poche, il était parvenu à se faire inscrire sur les listes de candidatures pour devenir agent du SIRO. La batterie de test physiques et intellectuels qu’ils lui firent passer s’avéra d’une facilité déconcertante pour lui. Pourtant, il s’appliqua à ne pas paraître trop bon. Il ne voulait surtout pas qu’on le remarque pour l’instant. Bien sur, il fut sélectionné, ainsi qu’une dizaines d’autre jeunes gens.

 

Commença alors pour lui une longue période de formation. On lui apprit d’abord le maniement des armes (épée et arbalète). Bien évidemment il excellait, mais continuait à feindre la médiocrité. Ensuite, ou plus exactement dans le même temps, on lui enseignait les principes moraux de l’église, la hiérarchie et le protocole de cette institution. Derek, consciencieux, apprenait et patientait.

 

Après des semaines d’attente, ponctuées par des journées d’entraînement, la persévérance de Derek fut enfin récompensée : il allait partir pour l’Ombre Terre afin de parfaire sa formation.

Il allait enfin se rendre sur l’ombre à l’origine de cette organisation. Il sentait que c’était important de s’y rendre afin de trouver des réponses à ses questions. Et surtout, afin de rencontrer le dirigeant suprême de cet ordre. A travers lui, il allait certainement débusquer l’Ambien responsable de cette situation étrange.

 

 

***

 


Une étrange rencontre

 

Après avoir déposé Kazé et ses marins dans une ombre quelconque, Xian tenta de rejoindre l’ombre où se trouvait le manoir de Gwendoline. Il réussit assez facilement à se rendre dans la bonne ombre selon lui, mais il fut confronté au même problème qu’au moment de son départ : comment se repérer dans cette immense étendue herbeuse qui entourait le manoir sur des lieux et des lieux ?

C’est alors qu’il repensa au livre, et aux formules magiques qu’il contenait, notamment celle qui permettait de lancer des éclairs qui indiquaient immanquablement la position du manoir. Mais comment utilisait-on une formule magique ? Suffisait-il de répéter la phrase magique, fallait-il se concentrer sur quelque chose ? Avoir un bâton, une amulette ? Xian était perplexe. Sans la magie, impossible de retrouver le manoir, mais pouvait-il s’improviser magicien ?

Il essaya de se remémorer la formule, mais il lui aurait fallut le livre pour bien faire, le livre qu’il avait laissé couler dans le naufrage. Après un long effort de mémoire, il lui sembla se rappeler de la formule. Il était pratiquement certain du début, mais la suite était plus vague.

Il se concentra cependant sur ce souvenir, essayant de trouver la prononciation de ces mots compliqués. Quand il se crût prêt, il formula les mots distinctement, à haute voix.

Quelque chose se passa, mais ce ne fut pas un éclair. Xian attendit, il ne savait pas ce qu’avait provoqué sa formule. Il avait la sensation étrange que quelque chose s’était produit, mais il ne pouvait pas savoir quoi exactement.

C’est alors qu’un fauve se jeta sur lui. Le combat fut rapide, même s’il ne fut pas réellement facile. L’animal développant une rapidité et une force peu commune, il fallut à Xian toute l’habileté dont il était capable pour s’en débarrasser.

Cependant, l’apparition du fauve coïncidant avec son essai magique, et l’apparence de l’animal n’étant pas sans lui rappeler des illustrations du livre qu’il avait vu, Xian estima préférable de ne pas retenter l’expérience immédiatement. Il entreprit donc de trouver la direction de la forêt d’Arden.

Après seulement quelques heures de voyage, il se trouvait dans une grande forêt. Les manipulations d’ombre lui semblaient plus difficiles et justement, la forêt d’Arden avait cette particularité (comme toutes les terres proches d’Ambre d’ailleurs) de résister aux changements. Pourtant, avoir trouvé Arden ne signifiait pas pour autant avoir trouvé Ambre comme il se l’était imaginé. Le soir tomba qu’il n’avait encore rien vu de connu. Il s’installa alors un bivouac au pied d’un arbre.

Au matin, une mauvaise surprise l’attendait : Akuma, son magnifique étalon avait disparu ! Il n’était probablement pas partit de lui-même. C’est donc que quelqu’un l’avait dérobé. Fou de rage, Xian se lança sur les traces de sa monture, jurant qu’il châtierait celui ou ceux qui avaient osé voler son compagnon. Il ne prenait qu’un minimum de repos, se déplaçait le plus rapidement possible, dormait d’un seul œil. La piste était longue et suivait un étrange tracé, pour revenir à un endroit où, semblait-il, Akuma aurait changé de main.

Or, pendant la seconde nuit, alors qu’il se reposait un peu, Xian perçu un mouvement proche. Gardant les yeux fermés, il mit la main sur son épée, prêt à se défendre au moindre bruit suspect. Quelqu’un s’approchait doucement de lui. Doucement, mais sans pour autant le faire silencieusement. Lorsque Xian eut la certitude que le visiteur ne se trouvait qu’à quelques centimètres de lui, il dégaina son arme tout en ouvrant les yeux, et se trouva nez à nez avec… Akuma. Il avait dû s’échapper.

 

Qu’il se soit échappé ne voulant en rien dire que le voleur s’en sortirait, Xian reprit sa chasse, quoique moins pressé. Les traces furent rattrapés par d’autres, une trentaine environs. Sa vengeance devenait plus délicate que prévu. Ecrasé par la taille de ces arbres démesurés, il vit une multitude de petits mammifères le considérer avec crainte. Des humanoïdes poilus, presque félins dans leurs mouvements. L’un d’eux semblait familier à son cheval, et Xian se prit à rire de la situation ; pendant trois jours, il avait pourchassé, enragé, des petit êtres qui ne voulaient probablement, vu leur caractère, que jouer avec Akuma… sa colère fit place à de l’amusement.

Xian tenta alors d’apprivoiser les petits félins. Faisant des gestes lents, se voulant rassurant, Xian espérait établir un contact. Petit à petit, voyant qu’ils n’avaient apparemment pas trop à craindre, les créatures s’approchèrent de l’homme, le touchèrent, le reniflèrent. Des attitudes qu’ils adoptaient, comme les gestes qu’ils utilisaient entre eux pour communiquer, laissèrent Xian penser qu’ils possédaient une certaine forme d’intelligence. Il s’appliqua à imiter leurs gestes. Deux d’entre eux étaient attentifs aux gestes de l’homme et bientôt Xian eut l’impression qu’ils se comprenaient. Sa faim le tiraillait, et il décida de voir si ses nouveaux compagnons pouvaient comprendre son besoin de manger. Il fit les gestes de quelqu’un qui se nourrit, portant la main à sa bouche. A peine avaient il fait son geste que les félins avec lesquels il communiquait jusqu’alors firent mine de vouloir monter le long d’un tronc et cherchaient à y entraîner Xian. Comme il ne bougeait pas, ils disparurent dans la cimes des arbres. Peut-être allaient-ils chercher de la nourriture pensa Xian.

Quelques minutes plus tard, ils redescendirent en effet, mais pas avec de la nourriture ! Ils étaient accompagnés d’une sorte de grand…chat. Ou quelque chose s’en approchant. Alors qu’ils ne mesuraient qu’environ 70 centimètres, le nouveau venu était bien plus grand et plus large de Xian. Il s’approcha de Xian sur ses quatre pattes, puis se redressa en face de lui. Il devait effectivement faire largement plus de 2 mètres. Xian légèrement méfiant, essayait d’estimer les intentions de ce grand frère. Apparemment, elles étaient pacifiques. Et quand il fut à quelques centimètres seulement de Xian, il se retourna, et présenta son dos à l’homme. Xian comprit qu’il voulait le hisser jusqu’à la cime.

Pas trop certain d’aimer ce moyen de locomotion, il s’exécuta néanmoins. Le gros félin le souleva comme s’il s’était agit d’un enfant, et grimpa à l’aide de ses puissantes griffes le long du tronc d’un grand arbre. Au bout de la promenade, une surprise de taille attendait Xian. Les créatures vivaient dans un véritable petit village dans les arbres. Des branches formaient comme un tapis de feuilles, alors que d’autres avaient été rabattues pour protéger de la pluie, ou du soleil. Pas de construction traditionnelle, dans le sens où les branches n’étaient pas assemblées ou attachées d’une quelconque façon, mais semblaient avoir été guidées pour former des dômes réguliers et spacieux. Xian s’installa contre une branche, et un autre gros chat il apporta de la nourriture (des fruits et de la viande légèrement faisandé). Il passa la soirée et la nuit parmi ces étranges créatures, se demandant, si les petits grandissaient ensuite pour devenir comme les gros, ou s’il s’agissait de cousins proches.

Le lendemain, la descente fut plus difficile pour Xian, son porteur n’ayant pas pris soin de faire le trajet en marche arrière, il fallait que Xian développe toute son énergie pour ne pas basculer en avant et rester sur le dos du chat-géant. Au moment de la séparation, Xian voulut faire un cadeau à l’énorme matou. Il fouilla dans ses poches, mais n’y trouva rien d’intéressant. Il décida de donner l’un de ses atouts. Il possédait deux exemplaires de l’atout de Brand, le père de Gustaf. Ce dernier s’en était séparé plus ou moins volontairement après un contact plutôt brûlant. Il en fit cadeau.

Contre toute attente, le matou le prit dans sa patte et l’observa attentivement. Xian surpris, hésita… Et si son ami réussissait à établir le contact ? ça pourrait être dangereux pour lui, connaissant Brand. Il retira alors la carte des pattes du gros chat. Il lui sembla qu’elle était plus froide. Il salua le minou, et s’éloigna enfin, pensant qu’il pourrait revenir avec un présent moins dangereux.

 

***

Gérard

 

Gustaf vit d’abords le plafond blanc d’une chambre. Il aperçu ensuite les tentures sur les murs. Mais tout à coup, les murs remplacèrent le plafond qui semblait essayer de prendre la place des murs. Puis dans un autre à-coups, il regagna sa place, mais continua d’osciller. Gustaf ferma les yeux. Mais cette fois, c’est l’intérieur de son crâne qui bougeait. Il fut pris de vertige et cru qu’il tombait…mais il était toujours allongé.

Après quelque minutes, ou quelques heures, Gustaf ouvrit de nouveau les yeux. Ou plutôt l’œil ! Un grand pansement protégeait son autre œil. Il se l’était certainement crevé. Quel con je fais, se-dit-il !

Maintenant c’était une nuée d’abeilles qui avaient décidées de prendre sa tête pour une ruche. C’était désagréable, mais plus facilement supportable que la danse du plafond. Gustaf tenta de se relever. Une douleur soudaine sur le coté de la poitrine le cloua au lit : les cotes sont probablement endommagées pensa-t-il. Cela l’aidait d’analyser les douleurs dont il souffrait. Comme si le fait de savoir quelle douleur était associé à quelle blessure lui permettait d’oublier un peu la douleur pour passer à autre chose. Il estima à cinq ses os brisés : deux côtes, le radius, le cubitus et l’humérus du bras gauche. Ce dernier était maintenu dans un carcan en bois. Qui pouvait l’avoir soigné ? Caine ?

Le reste de son corps était douloureux, comme s’il s’était fait écrasé par une troupe de cavaliers, mais rien d’autre ne semblait en morceaux. Il ne s’en sortait pas trop mal finalement. Il aurait pu y rester. Epuisé par les efforts consentis, Gustaf replongea dans le sommeil (réparateur, il faut l’espérer).

 

Quand il émergea enfin, il se sentit plus reposé. Il voulu se lever, mais son corps le rappela à l’ordre : pas question de bouger ! Il s’aperçu alors que quelqu’un l’observait. Il réussit à se redresser légèrement sur son lit. Caine était à son chevet ! Etait-ce lui qui l’avait soigné ?

Il prit la parole :

-         « Tu as dormi trois jours. Tu sembles maintenant en mesure de répondre à quelques questions. Tu comprends ce que je dis ? »

Gustaf fit un signe positif de la tête.

-         « Si ce que tu m’as dit est la vérité, à savoir que toi et tes trois autres cousins vous êtes comme perdus. Vous ne reconnaissez rien, et personne ne vous connaît. Pourtant tu affirmes être le descendant de Brand, comme tes amis ceux de Bénédict, de Corwin et de moi-même. Alors quelqu’un est derrière tout cela. Te rappelles-tu de détails ? Quand cela a-t-il commencé ? » demanda Caine.

-         « Je ne sais pas exactement. Nous étions dans une ombre appelée Ontoméra. Gérard devait nous enseigner à utiliser la marche en ombre. »

-         « Gérard … » Caine resta comme plongé dans ses pensées…puis il demanda brusquement : « Et Dworkin ? que t’as t’il dit ? Il t’a appelé comment ? Où l’as-tu vu ?

Gustaf essayait de réunir ses souvenirs, mais tout restait confus. Aucune réponse ne sortit de sa bouche. Caine n’insista pas.

-         « Ce n’est pas grave, je reviendrais te voir quand tu seras complètement rétablit. Je te laisse ceci, au cas ou je ne pourrais pas revenir », dit-il en lui posant une carte sur la table de chevet.

-         « merci » réussi à articuler Gustaf.

 

Alors Caine sortit de la chambre, laissant Gustaf se rendormir, le cerveau encombré de mille questions.

 

***

James survolait une grande mer calme. La manta semblait glisser sur l’immense étendue d’eau bleue foncé, le vent sifflait dans ses oreilles. James réfléchissait tranquillement. Où pouvait-il trouver son cousin Xian ? Que connaissait-il de ses habitudes ? Alors qu’il pensait à cela, il vit un petit bateau de pêche. Et un éclair de lucidité traversa soudain son esprit : Gérard !

Il ne parvenait pas à deviner ce que devait faire Xian, mais James se dit que son oncle Gérard, si effectivement il n’était plus à Ambre, ne pouvait raisonnablement que se trouver sur la mer. A priori dans un grand navire de guerre. Abandonnant la recherche de son cousin, James se mis à chercher son oncle, utilisant son intuition, le pouvoir de la marelle, ainsi que sa conviction qu’il se trouvait sur un navire. James survola à une vitesse folle diverses mers et océans, laissant de coté des bateaux de pécheurs, de commerce, ou les navires de l’église (ils sont même sur les mers !). Après seulement quelques heures, il aperçu un gros galion, armé pour la guerre, mais sans aucun étendard. Il fit un passage au dessus du navire, un autre, et décida d’amerrir à proximité. Les marins l’observaient avec des yeux ahuris.

Lorsque l’aile de la manta posée sur l’eau vint frôler la coque du navire, James grimpa à bord.

 

A la tête et l’allure de l’équipage, James se dit qu’il s’agissait probablement de pirates ou de corsaires. Pourtant aucun n’osait s’approcher, attendant les ordres du capitaine, un colosse posté sur le château arrière. L’homme ramassa son arme, une énorme hache à deux tranchants, et descendit sur le pont pour se poster en face du nouveau venu. James s’attendait à tomber nez à nez avec Gérard, mais ce n’était pas lui. C’était un géant, chauve, torse nu, la peau bronzé par le soleil, il arborait un sourire presque carnassier.

-         « Salut étranger ! Que fais-tu donc sur le pont de mon navire ? »

-         « Je suis venu en découdre avec une troupe de marin avinés, dirigés par leur brute sans cervelle de chef », répondit James en souriant à son tour.

Le chauve resta un seconde interloqué, avant de partir dans un fou rire communicatif. Très surpris par la réaction de leur capitaine, les marins commençaient à pouffer, et bientôt tous les hommes sur le navire s’esclaffaient joyeusement. Puis, quand il se fut calmé, le capitaine s’adressa de nouveau à James, mais sur un ton beaucoup plus amical.

-         « merci l’ami ! cela faisait très très longtemps que je n’avais pas rit comme ça. On m’appelle "le Chauve", et toi ? Comment t-appelles-tu ? »

-         « Je m’appelle James. James B…heu…seulement James ! »

 

Le chauve l’invita à sa table, et ils discutèrent un peu de la piraterie, et de la mer. Rien de vraiment intéressant, mais pendant le temps du repas, James observait le chauve, et ses soupçons, nés du rire du géant, s’étaient peu à peu confirmés : le chauve et Gérard sont la même personne. Pourquoi fait-il semblant de ne pas me reconnaître ? pensa James.

 

Quelques heures plus tard, James s’envolait sur le dos de sa manta. Il avait décidé de reprendre la piste de Xian là où ils s’étaient quittés : à l’endroit où la manta, encore sauvage, avait fait couler le bateau dans lequel ils étaient.

 

***

 

Après quelques jours de chevauchée dans la forêt, Xian estima qu’il ne réussirait pas à rejoindre Ambre par Arden. Il prit donc un chemin qui l’emmena jusqu’à une côte. La plage de sable blanc était large, déserte, régulière, magnifique. Un village se profilait à son extrémité. Xian distinguait les petites maisonnées regroupées autour d’une bâtisse plus imposante, pourvue d’un clocher. Il était descendu de cheval, et marchait tranquillement vers le village. Bientôt un homme habillé de noir vint à sa rencontre. Quand ils se retrouvèrent face à face, Xian remarqua sa tunique portant la croix sur le cœur. Il se remémora sa rencontre avec les agents de l’église. L’homme, souriant s’approcha.

-         « bonjour ! Pourriez vous me présenter votre carte généal… »

 

Un mouvement rapide, un courant d’air, suivit d’un petit bruit sec, furent tout ce que l’agent pu entendre avant que sa tête ne prenne congé de son corps. Xian nettoya sa lame avec la tunique de sa victime. C’est alors qu’il ressentit une impression bizarre, une sorte de malaise, une mauvaise intuition. Répondant à son instinct, il se jeta sur le côté, à l’instant même où un carreau d’arbalète venait de se ficher dans le sable. Suivant du regard l’origine du trait, il aperçu trois cavaliers qui galopaient vers lui. S’ils étaient tous les trois équipés d’arbalètes, le combat serait trop inégal. Xian enfourcha sa monture et fila vers la forêt encore proche. Akuma était bien plus rapide qu’un cheval ordinaire, et il sema rapidement ses poursuivants.

 

Regardant alors autour de lui, il distingua une gigantesque ombre passer au dessus des frondaisons. Puis, elle repassa dans le sens inverse. Les agents de l’église utilisaient-ils des oiseaux géants ? Xian avait l’impression que la chose le recherchait. Très légèrement inquiet, mais surtout curieux, il se rapprocha de la côte, pour observer le phénomène. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il découvrit la manta et son cavalier. James fit se poser la manta sur le bord de mer et les retrouvailles faites, les deux cousins rejoignirent le repère de James, chacun avec sa monture.

 

La discussion qui s’en suivit occupa les deux jeunes gens jusque tard dans la journée. Ils avaient une foule d’informations à partager, et en tiraient une foule d’hypothèses. James supposaient qu’ils avaient été piégés dans un monde qui n’était pas celui d’Ambre, une sorte d’ombre fermée, proche d’Ambre mais différente pourtant. Xian était plus septique, pour lui, une explication moins saugrenue devait exister, mais elle était encore trop lointaine pour être envisagée. Après plusieurs heures de débat, ils finirent par se décider à tenter quelque chose : Ils allaient essayer de contacter quelqu’un de leur famille, un prince ou une princesse d’Ambre. Il y aura forcement quelqu’un qui saura ce qui leur arrive. James sortit son jeu, et commença à faire glisser les cartes entre ses doigts. Par lequel commencer ? Ils avaient décidés de tous les essayer, mais il était cependant inutile de débuter par ceux qui risquaient de ne pas apprécier le dérangement. James se décida pour Gérard. Il avait parlé à Xian de sa rencontre avec le Chauve. Il se concentra sur le portrait de son oncle, mais rien ne se produisit. Sans se laisser décourager, il entreprit de contacter un autre parent et pris l’atout représentant Bénédict. Sans effet. Il opta ensuite pour le visage de sa tante Florimel, que tout le monde appelle Flora…pas de réaction. Il passa en revue sept autres atouts de la même façon, obtenant la même réponse : rien.

Pourtant,  alors que James continuait à essayer de contacter quelqu’un, Xian qui attendait en l’observant, eut le regard attiré par quelque chose à l’horizon. Il étudia plus attentivement la mer, et commença à distinguer une masse sombre. Il alerta James. Il suffit d’un regard à ce denier pour reconnaître une flotte de navires de guerre. L’église les avaient repérés et s’apprêtait à prendre d’assaut le repère de James.

Les cousins se séparèrent, en se donnant rendez-vous sur la plage des pommiers, celle sur laquelle Xian avait échoué après le naufrage.. Xian partit par les terres, chevauchant son destrier, James par les mers, à dos de Manta.

 

La manta filait à bonne allure, et James changeait régulièrement d’ombre. Pourtant, lorsqu’il se retournait, il y avait toujours quelques navires dans son sillage. Les bateaux changeaient ils également d’ombre ? Le suivaient-ils ? A moins qu’il n’y ait des navires dans chaque ombre qu’il traversait ? Impossible !

James décida de changer de stratégie. Puisqu’il ne pouvait pas semer ses poursuivants, il allait aller à leur rencontre…mais pas seul !

Il détourna sa manta, descendit frôler la surface de l’océan, et s’imagina qu’il pourrait bien tomber sur un certain bateau, « comme par hasard ». Deux minutes et trois explications plus tard, les trois voiliers arborant leur pavillon noir frappé d’une croix blanche virent aller au devant d’eux un énorme navire de guerre battant pavillon vert et licorne blanche.

 

Les voiliers avaient l’avantage du nombre. Ils tentèrent donc d’encercler l’ennemi pour l’aborder par les deux flans. Mais le lourd navire manœuvra habilement et  se défila, glissa derrière les deux voiliers de tête, pour aller se frotter au retardataire, obligeant les deux autres navires à faire demi-tour. L’affrontement fut brutal, sanglant et rapide. L’équipage du Chauve, car c’était bien son navire, était mieux entraîné, plus farouche, plus sauvage. L’équipage du voilier était composé de marins et d’agents de l’église. Les uns étaient de piètres combattants, les autres de piètres marins. En quelques minutes le voilier était sous le contrôle des pirates. Les deux autres navires préférèrent prendre la fuite. Le petit voilier fut amarré au bateau du chauve, les marins survivants se virent offrir un choix simple, s’enfuir à la nage, ou rejoindre l’équipage. Tous décidèrent de devenir pirates.

Au cours de la fête qui suivit la victoire, un agent de l’église vint se présenter à James. Il ôta son chapeau et lui sourit. Il portait une barbe noire et drue, une balafre marquait sa joue, ses yeux noirs semblait s’amuser de l’observer. Devant l’air indécis de James, l’autre s’esclaffa :

-         « tu ne me reconnaît donc pas ? »

La voix, le sourire en coin, cet air détaché et sournois en même temps : en un éclair James reconnu son interlocuteur.

-         « Derek ? 

-         oui, c’est bien moi. Avoue que tu ne t’attendais pas à me voir dans ces circonstances.

-         C’est exact. Que fais-tu donc dans les rangs de l’église ? demanda le jeune homme devenu légèrement soupçonneux.

-         J’infiltre. Je compte bien m’arranger pour rencontrer le pape, et voir enfin de quel parent il s’agit.

-         Attends, nous devons avant tout retrouver Xian, et vérifier une petite hypothèse. Tu as remarqué le capitaine de ce navire, le grand type chauve ? Il ne te fait pas penser à quelqu’un ? »

 

Laissant Derek à l’observation du Chauve, James modifia son chemin d’ombre pour passer à proximité d’une terre. Une plage apparue bientôt. Une plage bordée de pommiers sur laquelle attendait un cavalier tout vêtu de noir : Xian.

 

Quand ils furent tous les deux, Xian et James décidèrent de tenter une expérience pour vérifier si le Chauve était effectivement leur oncle Gérard. Ils allaient utiliser l’atout de celui-ci et tenter un contact. Bien sur, et comme précédemment sur son île, James s’attendait à un échec, mais il était convaincu qu’il était difficile de repousser un appel d’atout. Et que le Chauve, si c’était lui, ne pourrait pas soutenir une conversation avec l’un d’entre eux tout en repoussant l’appel de l’autre. Aussitôt dit, aussitôt entreprit. Xian partit s’entretenir avec le Chauve, pendant que James saisissait son atout. Lorsque Derek comprit, trop tard, ce qu’ils allaient faire, il essaya de dissuader les deux cousins, mais James avait déjà l’atout en face et se concentrait de tout son énergie sur la carte. Xian discutait de tout et de rien avec le Chauve, quand celui-ci eut son attention occupée à autre chose, il balaya le pont du regard, vit James avec une carte de la main, et subitement, il rugit : « POSE CET ATOUT ABRUTI !! » et joignant le geste à la parole, il s’élança vers le jeune homme. La réaction brutale du colosse surprit James qui ne puis esquiver la poussée qui le fit voltiger sur cinq mètre en arrière.

-         « pourquoi ? s’étonna Xian.

-         Parce que c’est ainsi que l’église nous retrouve toujours ! répondit le Chauve.

-         C’est ce que j’essayait de vous dire depuis cinq minutes », s’excusa Derek, qui semblait cependant s’amuser beaucoup de la situation.

 

Au moins une chose était certaine : le Chauve était bien Gérard.

 

C’est ainsi que Derek expliqua aux deux cousins que l’église utilisait des cristaux dont la prodigieuse particularité consistait à être attiré par les communications d’atout. Sitôt qu’une personne se concentrait suffisamment sur un atout, les cristaux la détectaient et étaient en mesure de la localiser. C’est encore plus rapide si la communication s’établie.